En finir avec la souffrance au travail
Rythmes effrénés, intensification des tâches, injonctions contradictoires… L’évolution des conditions de travail n’est pas sans conséquences sur la santé des salariés.

Un accident pas si isolé
L’incident a eu lieu sur une chaîne de production typique de l’industrie du papier. « Une machine de très gros calibre, avec beaucoup de rouleaux qui tournent en même temps, se souvient Sylvain*, conducteur de la ligne. Tout à coup, mon vêtement a été emporté par le mécanisme. J’ai été étranglé au niveau du bras et du cou. Ma trachée-artère est tombée dix centimètres plus bas. » Le quinquagénaire parvient à rejoindre ses collègues avant de s’écrouler et de tomber dans le coma. Après plusieurs mois d’hospitalisation et une année d’incapacité totale de travail (ITT), Sylvain a toujours besoin de soins réguliers, cinq ans après les faits. Des milliers d’accidents comme celui-ci se produisent chaque jour sur le territoire.
Par an, ils s’élèvent à près d’un million « dont plusieurs centaines sont mortels », précise un rapport de la Cour des comptes en 2022. Par rapport à ses voisins européens, la France présente un chiffre particulièrement élevé de décès sur le lieu de travail : selon les dernières données d’Eurostat datant de 2021, le taux national de 3,3 décès pour 100 000 employés dépassait largement la moyenne européenne qui était alors de 1,76.
ont été prononcées en 2022, selon la Direction générale du travail. Dans plus de 95% des cas, ces déclarations conduisent à un licenciement.
Multiplication des contraintes
« Le monde professionnel a beaucoup évolué depuis vingt-cinq ans, notamment en raison de l’intensification du travail, explique Catherine Delgoulet, ergonome et professeure au Conservatoire national des arts et métiers. Les contraintes liées au rythme de production sont de plus en plus nombreuses, que ce soit celles fixées par les machines (cadences, répétitions) ou celles liées à l’obligation de répondre à une demande dans l’heure ou dans la journée. Cette multiplication des contraintes a forcément des incidences sur la santé. »
Depuis les années 1990, les troubles musculo- squelettiques (TMS) restent un problème majeur en France et représentent 88 % des maladies professionnelles. D’origine multifactorielle, ces pathologies ne sont pas seulement liées aux contraintes biomécaniques. Elles résultent également de la façon dont le travail s’organise et des risques psychosociaux auxquels les salariés sont exposés.
en France souffrent de douleurs liées aux troubles musculo-squelettiques, qui représentent 88 % des maladies professionnelles (Santé publique France).
Un actif sur deux en détresse
A l’intensification des tâches mise en place pour répondre à l’exigence accrue de rentabilité s’ajoutent le manque d’autonomie des employés, l’absence de reconnaissance, les relations dégradées avec les collègues ou la direction, et la peur de perdre son emploi. Les travailleurs sont aussi confrontés aux injonctions contradictoires d’un management agressif qui fait la chasse aux temps de pause et encourage la concurrence entre les salariés. Autant d’éléments responsables d’un mal-être profond et croissant chez de nombreux actifs.
Selon une étude publiée en mars dernier par Santé publique France, la part des employés atteints d’une souffrance psychique liée à leur activité professionnelle en 2019 a doublé par rapport à 2007, avec 5,9 % des femmes touchées et 2,7 % des hommes. Et d’après une enquête Opinion Way pour le cabinet de conseil Empreinte humaine parue en novembre 2023, près d’un salarié sur deux déclare être en détresse psychologique.
« Les conséquences de l’exposition à des risques psychosociaux s’insinuent souvent bien avant qu’on s’en rende compte », explique Florence. Conseillère emploi à France Travail, la quinquagénaire a été arrêtée plusieurs mois en raison d’un épuisement professionnel. « Notre activité quotidienne est marquée par beaucoup d’exigences émotionnelles, précise-t-elle. Les demandeurs d’emploi sont souvent dans des situations très difficiles. Et nous n’avons pas forcément de réponse à leur apporter. En parallèle, nous devons constamment nous adapter aux modifications des lois, des directions et des politiques de l’emploi. »
Pour soutenir les salariés, les seules actions de prévention alors mises en place par l’employeur de Florence sont « des formations sur Internet ». Face à une telle situation, et alors qu’elle est également confrontée à d’importantes difficultés de management, elle craque. « Un matin, je me suis effondrée en larmes en arrivant à mon poste. Je n’y arrivais plus. »
ne se sent pas capable de tenir jusqu’à la retraite (Dares).
*Certains prénoms ont été modifiés.