Cancer : quand la vie reprend ses droits… en douceur
Après des semaines, voire des mois de bataille contre la maladie, la fin des traitements hospitaliers annonce un nouveau chapitre de vie pour le patient. Comment se passe cette transition ? Quels sont les droits au travail, les aides possibles ?

Fatigue et séquelles après un cancer : apprendre à vivre avec
« Mon cancer ? C’était pile il y a un an », lance Corinne, 56 ans. Au beau milieu d’une conférence sur le climat, elle se libère une heure pour partager son histoire. « A l’annonce de mon cancer du sein, j’ai pensé à mes enfants, à mon mari décédé d’un cancer six ans auparavant, mais pas à l’“après” ni au travail », se souvient-elle. Pourtant, c’est ce dernier qui l’aidera tout au long de son parcours. « J’ai la chance de faire un métier que j’aime, mes collègues sont des amies et elles m’ont aidée à traverser cette épreuve tout comme à reprendre le rythme aujourd’hui », confie-t-elle. Salariée, elle s’est arrêtée trois mois avant de revenir en mi-temps thérapeutique, puis à 80 % et à 100 % aujourd’hui. « Mais je reconnais que je suis davantage fatiguée qu’avant… ».
« On peut avoir l’impression d’avoir perdu ses capacités de mémorisation lorsqu’on revient dans le milieu professionnel. »
— Evelyne Renault-Tessier, spécialiste douleur et soins palliatifs à l’Institut Curie
Cette fatigue post-cancer est partagée par de nombreuses personnes. Au moment de renouer avec le travail, les journées peuvent paraître longues et difficiles, à la fois physiquement et psychologiquement.
Il est possible que la maladie ait également un impact cognitif une fois la page des soins tournée. « On peut avoir l’impression d’avoir perdu ses capacités de mémorisation lorsqu’on revient dans le milieu professionnel », observe la docteure Evelyne Renault-Tessier, spécialisée dans la prise en charge de la douleur depuis plus de quinze ans à l’Institut Curie. Et de préciser : « De nos jours, on ne parle pas de vie après le cancer, mais de vie après les traitements hospitaliers. » Car la maladie est toujours là, quelque part pendant les cinq années de rémission, à travers les cicatrices, celles visibles et invisibles, à travers la douleur et, parfois, le handicap.
Soins de support et aides disponibles
Émilie, 38 ans, est indépendante sous le statut d’autoentrepreneuse et maman solo. Elle a dû poursuivre ses activités professionnelles pendant le cancer et tout autant après. « Je n’avais pas souscrit de prévoyance ou d’assurance pour compenser la perte de salaire… et j’ai continué à travailler malgré tout. » Elle nuance ce « malgré tout » car son travail, qui est aussi sa passion, l’a aidée à traverser le cancer. « Je n’ai pas eu le temps de m’identifier par rapport à la maladie. Je restais une femme active », fait-elle remarquer. Les traitements d’Émilie ont pris fin il y a quatre ans, mais la douleur liée aux séquelles persiste. Elle continue ses séances de kinésithérapie toutes les semaines ou toutes les deux semaines. « Dès que j’arrête, la douleur est plus intense », explique-t-elle. Au-delà de la douleur physique, il y a les douleurs que l’on ne voit pas. « Ce qui est le plus difficile, ce n’est pas la perte des cheveux, qui repoussent, c’est ce qui ne repoussera pas… »
Elle bénéficie toujours du dispositif « affection de longue durée (ALD) », qui permet une prise en charge à 100 % des traitements médicamenteux liés à la maladie. Les soins de support, eux, ne sont pas pris en charge, ou très peu. Corinne en a bénéficié et se sait chanceuse. « Après mon opération, j’avais très mal au bras droit et au sein également. Le moindre effleurement, même des draps, était douloureux. La cause de cette douleur était de l’eau qui stagnait dans les tissus. Grâce aux séances de massage drainant, la douleur est partie. »
« Les soins oncologiques de support sont en grande partie non pris en charge par la Sécurité sociale, et ce n’est pas normal quand on voit leur efficacité. »
— Camille Flavigny, directrice « droits et soutien des personnes » à la Ligue contre le cancer
« Les soins oncologiques de support sont en grande partie non pris en charge par la Sécurité sociale, et ce n’est pas normal quand on voit leur efficacité », assène Camille Flavigny, directrice « droits et soutien des personnes » à la Ligue contre le cancer. « On se bat pour qu’ils le soient pour toutes et pour tous ! » précise-t-elle. Autre désagrément avec lequel il faut composer au quotidien : les symptômes de la ménopause à cause de l’hormonothérapie. A moins de 40 ans, Émilie fait face à la sécheresse cutanée, à l’ostéoporose et aux douleurs articulaires.
Les hommes aussi sont confrontés à des changements dans leur vie intime, notamment après un cancer de la prostate. « Nous avons mis en place un atelier sur la sexualité avec les femmes, à leur demande. Cet atelier est très demandé. Mais c’est une question encore taboue chez les hommes… », reconnaît la docteure Renault-Tessier.
Face à ces douleurs quotidiennes, les équipes soignantes recommandent une activité physique adaptée (APA), seule thérapie non médicamenteuse reconnue. Les séances d’APA réduisent le niveau de fatigue de 25 à 30 %, sans compter l’impact positif d’une activité physique sur les émotions et la psychologie.
Retour au travail après les traitements : anticiper et adapter son poste

« C’est une fois les traitements hospitaliers terminés que les personnes font face à ces questions sur la reprise : est-ce que je retravaille ? Est-ce que ce poste me plaît ? Est-ce que je reprends à temps partiel ? » observe Camille Flavigny. La reprise du travail devrait pouvoir s’anticiper, lorsque l’état de santé le permet, le plus en amont possible avec l’équipe pluridisciplinaire soignante mais aussi avec le médecin du travail. Ce que confirme la docteure Renault-Tessier : « On constate que les ateliers de retour à l’emploi arrivent tardivement, une fois que le patient est arrivé à la fin des traitements hospitaliers, voire en fin de droits de leur arrêt de travail. » Pour elle, ces questions devraient être abordées dès la rédaction de l’arrêt de travail. Un moment propice à l’équipe pluridisciplinaire pour repérer les personnes qui ont le plus besoin d’un accompagnement.
Chaque cancer, chaque prise en charge, chaque patient réagit différemment ; la reprise du travail devrait être personnalisée selon la profession, le type de poste, les risques psychosociaux, etc. Et que faire si le poste n’est plus adapté ? « Quand on parle des séquelles de la maladie, on parle également de handicap et de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, souligne Camille Flavigny. Ce sont des démarches administratives lourdes, avec la constitution d’un dossier à la MDPH (maison départementale des personnes handicapées)… Un parcours du combattant administratif parfois plus mal vécu que celui contre la maladie ! »
La coordination entre tous les acteurs – Assurance maladie, travailleurs sociaux, soignants et médecine du travail – est encore perfectible. Elle est pourtant essentielle pour faciliter la vie après les traitements hospitaliers. « Nous avons des dispositifs, mais le temps d’accompagnement humain dédié à cette reprise du travail est insuffisant », reconnaît Camille Flavigny. « Les gens se sentent souvent lâchés à la fin des traitements », ajoute-t-elle. Les initiatives émanant d’associations, de centres de soins, de soignants ou de particuliers commencent à faire bouger les choses, à « remplir les trous de la raquette », comme aime à le dire la docteure Renault-Tessier.
Vie personnelle et projets après un cancer : redéfinir ses priorités
Les questions autour de ces nouveaux chapitres à écrire dans sa vie personnelle, affective et professionnelle arrivent aussi – souvent – à un âge pivot, celui de la cinquantaine. « Pendant mon arrêt maladie, j’ai beaucoup réfléchi sur moi-même, se souvient Corinne. J’ai réalisé que c’est seulement à ce moment-là que j’ai appris à m’aimer ! » Se battre contre un cancer a changé sa manière de voir la vie, ses priorités, ses relations sociales aussi. « J’ai pris mes distances avec les gens toxiques. Je prends plus le temps de faire les choses, je planifie moins », reconnaît Corinne.
Émilie également aborde la vie différemment, avec cette prise de conscience, à présent, que tout peut basculer d’un moment à l’autre. Alors, investie au sein d’un atelier d’écriture pour l’association RoseUp, elle raconte : « Je me rends compte que toutes les femmes qui sont passées par la maladie vivent ensuite la vie de manière plus intensive, qu’elles prennent en compte chaque moment de joie. »
Corinne, elle, s’est accrochée au plaisir de se rendre à un concert avec ses enfants. « Mon traitement contre le cancer se terminait à la mi-septembre. Deux semaines plus tard, j’étais à un concert de Mylène Farmer à Paris ! Fatiguée… mais je l’avais fait ! »


